Béjart
Serait-ce la mort ?
Ce titre de ballet reprend le dernier vers du dernier leader de Richard Strauss. Le cycle comprend les quatre saisons de la nature et de la vie dans des poèmes sensitifs pleins d'attente et d'écoute. A l'introduction du quatrième, il y a cette célèbre phrase de l'orchestre si longue et pleine, qui résume tout l'art allemand et qui rappelle que l'art du mélisme étiré au delà du souffle humain par les instruments était déjà dans les symphonie d'ouverture des motets de Michael Praetorius à la Renaissance. Ces derniers leaders, merveille d'un aboutissement d'une tradition, merveilles d'une fin d'une longue vie de création d'un compositeur à la fin du maillon germanique, aprés Schütz, Bach, Beethoven, Wagner : Strauss.
D'abord la seule et unique véritable critique : la sonorisation. Cette fois-ci placé dans le deuxième tiers de la salle, on a pu juger qu'elle était définitivement hors naturel. Comment profiter de la voix, comment entendre les finesses instrumentales que commente point par point Béjart ? Tout est à ce point saturé que rien n'est audible et que la version mythique choisie pouvait être assimilée aux pires exécutions.
Strauss est un vieillard, le protagoniste qui le représente et qui mourra à la fin du ballet est un jeune homme, un danseur sublime. Les mots sont souvent trop fort quand on écrit, c'est pourtant l'exact effet, sublime, et pour atténuer : sublime en partie par essence, en totalité par les mouvements de Béjart. Autour de lui quatre élangantissimes allégories. L'une la plus haute toute blanche danse avec lui dans le premier leader, le printemps, mais aussi dans les moments de silence entre chaque leader et surtout dans l'ultra légendaire coda emplie du chant de l'oiseau de la fin du dernier leader. Et le tout s'achève sur le tant attendu, tant émouvant et au final si tendre baiser de la mort. Les trois autres, rose, doré et violine, pourraient représenter les trois âges de la vie si le danseur ne mourrait pas visiblement dans sa plus éclatante jeunesse. Mieux vaut faire le rapprochement avec les contes d'Hoffmann : l'une serait l'amour juvénile, l'autre adulte, la troisième sensuel, et la dernière les trois autres à la fois, la plus inaccessible, la plus souhaitée, mais aussi l'ultime.
Que tardons nous à parler de Béjart. Plus que ceux de Maillot, ce ballet est de nature chorégraphique ce qui ne l'empêche pas d'avoir une dimension psychique mais cette valeur de l'âme est avant tout musicale, c'est à dire qu'elle n'exprime pas le particulier comme le fait la poésie mais l'universel comme le fait la musique. Béjart ne narre pas, il émeut par les geste exactement de la même manière que Strauss par les sons. Du reste, trop novice en Ballet pour oser commenter ce que j'ai vu, je me contente de citer les paroles de Baudelaire dans sa lettre à Richard Wagner en vous invitant à changer le mot « musique » par celui de « danse » :« Par vous j'ai été vaincu tout de suite. Ce que j'ai éprouvé est indescriptible, et si vous daignez ne pas rire, j'essaierai de vous le traduire. D'abord il m'a semblé que je connaissais cette musique, et plus tard, en y réfléchissant, j'ai compris d'où venait ce mirage; il me semblait que cette musique était la mienne, et je la reconnaissais comme tout homme reconnaît les choses qu'il est destiné à aimer. » »Autre chose encore : j'ai éprouvé souvent un sentiment d'une nature bizarre, c'est l'orgueil et la jouissance de comprendre, de me laisser pénétrer, envahir, volupté vraiment sensuelle, et qui ressemble à celle de monter dans l'air ou de rouler sur la mer ».
Maillot, un vocabulaire plus psychologique
On a déjà trop écrit et pour avoir trop tarder dans le temps à coucher la fin du commentaire, la mémoire ne permet plus de faire une analyse poussée des deux ballets de Maillot qui suivirent.
Les Fauves, création d'un pas de deux, chorégraphie Jean-Christophe Maillot, interprété par Bernice Coppieters et Gil Roman, en hommage à Maurice Béjart présente peu d'exigences techniques mais beaucoup d'interprétation, particulièrement pour les mains et les visages. C'est animal, lui est faune à souhait, elle tigresse dans l'exploitation de tout son charisme sauvage et si fameux. Humour, suggestion, pulsions, dominations, tendresse traversent ce pas qui résume le vocabulaire de Maillot.
Vers Un Pays Sage, chorégraphie en hommage au père peintre de Maillot, a du titre les couleurs et la multitude des blancs, mais aussi les tonalités dansées et les déséquilibres, les lâchés et les corps volants. On y voit pourtant à la première approche nulle sagesse, ou bien seulement l'explosion juvénile d'un fils vers la quête de l'art, cette sagesse à venir. On en dira pas plus, se réservant de revoir cette oeuvre, car en ballet il faut plusieurs lectures, c'est l'enseignement de ces deux soirées.
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