lundi 29 septembre 2008

Andrew Manze passe à côté de Corelli

A propos d'un très beau disque qui tombe dans l'excès

A classer dans la catégorie "vous m'étonnerez toujours mais vous ne m'émouvrez plus jamais". Déjà le parti pris d'avoir un seul claveciniste à la pointe de l'efficacité comme Richard Egarr montre combien Andrew Manze tire la couverture à soi : on veut un continuo parfait mais limité, on sacrifie les grands coups de basse rythmique par un théorbe ou une basse de viole (une des marques agoniques de Corelli) pour favoriser la seule improvisation mélodique du violon, roi de cet opus V. Un résultat qui sonne :  "je suis génial, je le sais et je m'écoute jouer". Le tempo, certainement pour faire place aux mille et un ornements nouveaux, est trop lent, absolument pas corellien ! On croirait que Corelli a appris son violon chez les allemands et qu'il pense religion alors qu'il devrait penser esthétique. Le son encore est toujours au fond de l'instrument, toutes les imitations théâtrales de la voix sont là, c'est une déclamation à la pointe de la mode actuelle, c'est même très impressionnant. Mais si une Odile Edouard utilise à bon escient cette pathétique profondeur pour le moment de rage de la sonate de la Crucifixion de Biber, Andrew Manze perd dans l'opus V toute dimension aérienne et joue tsigane en permanence. La rhétorique tombe toujours, artificielle, à cent coudées du message des oeuvres : dans la sonate en la majeur, par exemple, il choisi de dire au bout des lèvres le premier mouvement, célèbre pour être la tendresse réincarnée. Mais le résultat est "je connais l'art du plus subtil pianissimo", jamais "je vous distribue de douces caresses". L'allegro qui suit devrait être plein de générosité mais le voilà direct et, pour le coup, sans effets, sans doute pour ne pas faire ce que les autres font traditionnellement : ne pas faire "à tout prix". De même la Follia : que cela commence mal avec un prélude rubato au clavecin plus français qu'italien, certes raffiné mais pas à propos, puis le thème lentissimo comme s'il s'agissait des imposantes variations Goldberg, on a déjà perdu tout sens de la proportion ! On sait déjà que le violoniste ne bâtira pas mais improvisera : la cadence d'une variation piano introduit impromptu une violence non amenée pour annoncer par surprise l'allegro forte qui suit, il n'y plus de rapport de tempi d'une variation à l'autre, tout y est vu dans le détail immédiat, tout est décousu... Bien sûr il s'agit d'une folie, mais au XVIIème elle était encore sous le canon de la "vraissemblance", l'historicité n'autorise pas de détourner l'oeuvre à ses fins personnelles. Les ornements sont tant originaux qu'ils sortent même de l'époque et du lieu, ils sonnent Charpentier, ou Bach, pire, on les devenir venir, jamais ils ne se fondent dans l'oeuvre. Lenteur, ostentation, sur-déclamation, narcissisme, on n'osera pas dire que tout cela traduit au final, nonobstant le catalogue exhaustif de la technique baroque actuelle, un penchant pour le romantisme.

Arcangelo Corelli (1653-1713) Violin Sonatas, Op.5 complete; Andrew Manze, violin, Richard Egaee, harpsichord; Harmonia Mundi, production USA 907298.99, 131' Recorded November 5-8, 2001 and February 5-8,  2002.


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