Jeudi 9 novembre 2006, théâtre Francis Gag, Nice. Ouverture du festival Manca avec la présentation du forum des étudiants en électroacoustique et musiques mixtes. Des personnalités affirmées se sont fait remarquer, soit que l'électroacoustique ait donné seule sa valeur sonore, soit que les instruments, notamment des flûtes étranges, aient magnifié le genre.
Sur l'électroacoustique seule
Signe de l'époque, l'électroacoustique se fait "New Age" et l'eau y tiens une place primordiale. C'est le cas de l'oeuvre "Raga de printemps" de Remi
Mezzina mais aussi "Aux calmes" de Benjamin Crousillac. Ces deux oeuvres furent séparées dans la soirée, chacune ornementant une mi-temps, fort
heureusement pour l'équilibre. Dans la première, l'eau et la nature sont superposées au son du sitar indien que l'on devine au loin et dont l'oeuvre
cherche à épouser les mouvements d'improvisation ; dans la deuxième l'eau nous submerge. C'est, de toutes les oeuvres éléctroacoustiques présentées
ce soir là, la plus belle : la fonction quasi SACD de l'octuple bande, c'est à dire une stéréophonie totale, nous plonge dans un focus amplifié. Nous entendons le ressac comme avec un microscope sonore : nous sommes nous mêmes ces petits crabes d'eaux qui sont environnés de mouvements d'évier,
constants dans les rochers de la mer, mouvements violents, dangereux, fragilisants si l'on se sent tout petit. Puis, cette mer se transforme, c'est un ruisseau, c'est de l'eau douce. Et pourtant, si nous cessons d'être des liliputiens, cette eau est bien calme ... et justifie le titre de l'oeuvre.
"Transe Lucide" d'Eric Allietta, autre oeuvre électroacoustique, procède aussi d'un même mouvement, entre apaisement et angoisse. Cette musique là
agence les bruits savamment. C'est cela, la découverte de l'électroacoustique : la musique depuis son origine est cet agencement savant et harmonieux des bruits - Mozart sous sa perruque ne fait pas autre chose que d'agencer "des sons qui s'aiment". Et les bruits quittent leur statut anodin dès que l'oreille de l'artiste sait les mettre en situation, pour que notre propre oreille y découvre, elle aussi, ce qu'ils ont d'expressif et d'unique. Nos oreilles, s'étaient trop laissées aller à la banalité, l'artiste est là pour les mettre en garde : désormais les bruits deviennent art et se nomment sons. Nous nous référons à l'idée de l'artiste que se fit Bergson ("la Pensée et le Mouvant") : l'artiste renonce à voir le monde globalement, dans cette forme simplifiée pour l'usage courant, pour y voir des particularités que nous ne voyons plus dans la vie de tous les jours. L'électroacoustique se donne cette mission-là.
Sur les flûtes prolongées ou soutenues par l'électroacoustique
La tendance "New Age" des jeunes générations se retrouve également dans les choix sonores de tous le concert et dans les traitements particuliers des pièces. Un besoin de retour à la Nature ! La flûte à bec : un symbole ! Instrument venu du fond préhistorique, balbutiement et science profonde de l'humanité, sonorité à la foi liquide douce et violente, eau qui dort et eau qui court ... deux personnalités, bien représentées par Monica Lopez Lau et Simone Schmid, l'une méditerranéenne, l'autre flamande, l'une bibelot, l'autre statue, mais s'interchangeant la douceur et la violence, le jeu mélodique et le jeu percussif et jusqu'aux paroles dramatiques dans certaines pièces et même, une fois, la même flûte, geste de communion sensuelle tout comme spirituelle. Ce sont deux élèves du conservatoire de Lausanne (classe d'Antonio Politano) surtout deux interprètes de
distinction.
La pièce de Danièle Gugelmo, que l'on qualifiera de féminine, commente la pensée spirituelle de Balzac telle qu'il l'a exprimée dans son roman "Seraphîta" en 1835. Cette jeune compositrice a trouvé en elle un matériel pour les flûtes si remarquable que l'accompagnement électroacoustique en devient quasi superflu. Les sons enregistrés qui débutent le premier mouvement de l'oeuvre, sont certainement l'inspiration d'origine des effets heureux envahissant bientôt les flûtes de voix. Mais paradoxalement, ces sons enregistrés montrent leur limite, en tant que matériel froid, dès que la chaleur du matériel instrumental et humain apparaît. C'est ainsi pour chaque idée de chaque mouvement. Le traitement de la flûte de seize pieds, flûte géante au son de tuyau d'orgue, mais octavant rapidement et permettant un effet percussif des touches à vide, rappelle les émotives fragilités que l'on entend dans les oeuvres de John Cage. Enfin une tendance à la polyphonie se fait sentir dès le début de l'oeuvre, tendance qui met l'auditeur entre deux eaux : la musique y sera-t-elle expressive à partir des seuls effets de son, où sombrera-t-elle dans l'harmonie classique (un passage entier entre les deux flûtes est carrément mélodique) ? est-ce un atout, est un embarras ? Dans le dernier mouvement, ce sera une réussite : un orgue enregistré dans la bande magnétique débute un Choral de Bach que les deux flûtes vont élégamment "flouter", comme dans un rêve "drogué", au point que la basse d'orgue se fera un temps totalement discrète avant que de conclure, in fine, exactement sur un accord parfait avec les deux flûtes. Espace onirique entre harmonie et son vague : toute la matière poétique d'un Bério. Danièle Gugelmo y montre un talent certain qu'elle saura approfondir.
La pièce de Gaël Navard où les résonnances des flûtes étaient prolongées par les moyens de l'électroacoustique, présentée dans la même partie, a pris, en regard de l'oeuvre de la jeune compositrice, un aspect plus âpre et masculin : "asile", soit l'asile d'un "si", soit d'un "la", sorte de jeu théâtral.
Après la méditation "New Age", le choc théâtral.
Il y eut d'ailleurs dans la soirée d'autres moments théâtraux, notamment dans les jeux d'improvisations des flûtistes jouant avec l'électroacoustique (Anders Forslund) mais aussi avec l'apparition de texte et de scénographie "quasi érotique" (l'échange de la même flûte ?) dans l'oeuvre d'Oskar Lissheim-Boethius. La notion de ligne musicale surgit : l'oeuvre exprime, crie, touche l'auditeur.
Evidemement, le clou spectaculaire est le grand closter de l'oeuvre de Florian Gourio et Manuel Rosas Gutierrez, "SOAP Machine #3", avec des saxophones, trombones, trompette et un arrosoir (buggler), un écran de cinéma rétro et une soprano folle aux cheveux dénoués. Des "warum", des "perché", le tout lyrique, quodlibet et fortissimo. C'est l'occasion d'admirer la souplesse vocale, la musicalité - que dire ? la beauté de la ligne du son, allant du filet de voix au lyrisme chaleureux de la soprano. Tant de merveilles pour caractériser Liesel Jürgens, l'un des immenses talents vocaux sur Nice. Pour la première fois, on la voit très heureusement se produire dans un concert contemporain, où d'habitude, sur la scène locale niçoise, où nous avions vu régner la seule Tanya Laing, dont l'émission et la présence sur scène font une digne héritière de Kathie Berberian.
Un peu de philo
Cependant que l'on parle de théâtre, c'était la clôture de la première partie. La deuxième se clôturait plutôt sur une séquence philosophique : un solo de clarinette basse, par trop intellectuel d'Aaron Einbond. L'auteur se cherche là : ce n'est pas une critique ! Qu'il ne nous en veuille pas si l'on pense qu'il ne s'y est pas encore trouvé. C'est déjà un grand effet, si on peut susciter chez l'auditeur cette curiosité de sentir une direction, une recherche, plutôt que l'ennui d'une oeuvre élégante mais vide. On retrouve ce sympathique compositeur, le mercredi 15 novembre, toujours dans le cadre du Festival MANCA au CNR avec Gaël Navard, dont on a parlé auparavant, pour nous faire découvrir à travers un "Atelier- concert", "leur travail" en France et aux Etats-Unis dans le cadre du programme d'échange pédagogique F.A.C.E. qui unit le CIRM, au CNR, à l'Université de Nice-Sophia-Antipolis, l'Université de Berkeley et le CNMAT.
Crédits photographiques
© service photo CIRM 2006
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