Mougins, Eglise Saint-Jacques. 10-IV-2005. Godfrey Finger (v 1660-1730) :sonata 2 en ré majeur ; Dietrich Buxtehude (1637-1707) : Prélude en ré majeur ; sonate pour viole et continuo en ré majeur ; Francesco Rognoni (v 1585-1624) : « Suzanne un jour » pour viola bastarda d’aprèsOrlando di Lasso (1532-1594) ;« Pulchra es Amica mea » pour viola bastarda d’après G. P. Palestrina(1525-1594) ; Giovani Gabrieli (v 1557-1612) : Canzona « La Spiratata »; Ricardo Rognono ( ?-v 1619) :« Anchor che col partire » pour viola bastarda d’après G. de Rore (1516-v 1565) ; Henry Purcell (1659-1695)Voluntary on the old 100 th psalm ;Christopher Simpson (1610-1699)Divisions on the groud (« Folia ») pour viole ; Heinrich Scheidemann (1595-1663) Fantasia en sol majeur ; Jean-Sébastien Bach (1685-1750) : Sonate n°1 en sol majeur pour viole de gambe et clavier. Sylvie Moquet, viole de gambe. Dimitri Goldobine, orgue.
Mougins est un village perché au-dessus de Cannes, enroulé en forme d’escargot comme tous les villages de la région dont l’origine est gallo-romaine. La ville possède un festival d’orgue en octobre autour de l’instrument de Cabourdin, de style Allemagne du Nord. Ses sonorités sont belles et ses jeux ont une poésie typée et rustique, tel le tournebout, (une régale, Cabourdin étant un talent de l’harmonisation des anches). L’orgue, assis presque au milieu des bancs, comme s’il était un paroissien assistant à l’office, est somptueusement peint et possède deux fameux panneaux représentant des musiciens et le village. Hélas ! des erreurs de dessin déparent ces peintures et semblent impardonnables quand l’œuvre veut imiter le grand art.
L’association musicale, Mons Aegytna Musicalis, affectueusement appelée les « Dames de Mougins », tient une saison de concert tout au long de l’année avec une grande hospitalité et la même classe qui caractérise Mougins. Ce 10 avril était invitée une instrumentiste de prestige, la gambiste Sylvie Moquet. Elle a participé à de nombreux enregistrements et concerts avec des ensembles comme les Arts florissants, la Chapelle Royale, le Poème harmonique, Akademia, l’Ensemble Baroque de Nice … plusieurs disques à deux violes de gambe avec Anne-Marie Lasla… Elle était accompagnée d’un claveciniste russo-cannois, jouant pour l’occasion sur l’orgue, musicien hors norme, Dimitri Goldobine, qui mérite bien plus que sa déjà grande renommée locale. Ce fut d’ailleurs un coup de passion musicale de la part de la violiste pour lui qui fut à l’origine de ce concert : tous deux sont des « mordus » de musique Renaissance.
Le programme illustre l’art de la viole de « Palestrina à Bach ». La couleur de la tonalité Ré majeur présida à l’introduction du concert avec une Sonata a 2 de Godfrey Finger un auteur bohémien contemporain de Bach adopté par l’Angleterre. Puis un Prélude de Buxtehude en ré majeur, sous les doigts de l’organiste, a pu exhaler toutes ses couleurs italiennes : début aérien, sections sur le tremblant, cascades virtuoses. La sonate en ré majeur pour viole, rhapsodique et fantasque, offre à l’auditeur une surprise finale : toute la générosité de son dont les deux musiciens sont capables. Un deuxième groupe illustre l’art de la « viola bastarda » en Italie : cet instrument, d’une grande étendue, permet de jouer des improvisations en forme de diminutions sur le répertoire des chansons à quatre voix de la Renaissance. Improvisations étonnantes que commentent toutes les voix, les unes après les autres, dans un même discours : tantôt celle de la basse, tantôt celle du ténor ou de l’alto, tantôt celle du soprano. Dans un souci pédagogique, Dimitri Goldobine joue à l’orgue seul le début des chansons originelles, non sans une incroyable capacité d’invention ornementale. La« Suzanne un jour » de Rognoni fait partie des diminutions les plus réussies de l’histoire de la musique : il se trouve là un art de la ciselure à la fois héritier de la finesse médiévale et plein des miracles de l’architecture de la Renaissance, cette architecture qui sut se rapprocher de l’Antiquité. Ainsi les mélodies simples se parent de virtuosité.
La Canzona de Gabrieli, débutant sur les jeux aigus, nous montre Dimitri Goldobine dans son répertoire d’élection. L’art de la diminution de ce temps est totalement intégré dans son esprit. Il en résulte une lecture horizontale parfaite et nette, jamais encombrée par la virtuosité. La pulsation des œuvres pour clavier Renaissance et settecento suit à peu près la version vocale d’origine, à peine plus lente. Les pièces sont alors à la fois, dans leur fond, très lentes, mais horriblement virtuoses et, en surface, rapides. Disons-le radicalement : toutes les écoles d’interprétation qui font durer un « motet » pour orgue de Michael Praetorius ou de Bruna quinze minutes se trompent et perdent la vraie pulsation, car le pouls devient vraiment trop poussif. Ces œuvres n’en font, au plus, que sept et elles sont paradoxalement plus lentes, ainsi jouées, mais charnelles et charpentées. Pourquoi s’ennuie-t-on souvent dès que l’orgue prend la parole dans cette musique ? pourquoi les autres instruments respirent et vivent ? c’est parce que tout le monde n’a peut-être pas compris les règles… Si toutes les pièces d’orgue et de clavecin de cette époque étaient jouées suivant la pulsation naturelle et humaine, alors -comme les diminutions seraient excessivement rapides et envahissantes pour la capacité de concentration de l’esprit moderne - il faudrait, dès à présent, renoncer à des intégrales d’œuvre de Gabrieli, Merulo, Praetorius et disperser les pièces au milieu de programmes vocaux et instrumentaux. Ainsi à l’état d’unicum, elles seraient vraiment appréciées : c’est ce qui fait le beau succès de cette pièce de Gabrieli au concert.
Ricardo Rognono comme Rognoni fait partie de l’art le plus élevé de la diminution, mais il a, en plus, l’émotion, la profondeur, cette façon de poser l’amorce de la phrase, de diriger la paraphrase du grave, vers des hauteurs méditatives puis, chutant de celles-ci, plonger vers des basses affligées. C’est ici d’ailleurs qu’il faut parler du jeu de Sylvie Moquet. La viole comme le violon ou la voix, est un miroir de l’âme. Nul n’en joue de la même manière et c’est très bien ainsi. Sylvie Moquet est généreuse, chaleureuse dans le son comme dans le cœur… Le « Pulchra es Amica mea » de Rognoni sur un Motet de Palestrina est l’exemple parfait et didactique de l’école de la viola bastarda. L’organiste improvise d’abord, pour introduire, un Ricercare sur le thème de Palestrina -Ricercare que nombre d’auteurs anciens, avec fierté, n’auraient pas renié ! Puis, discrètement, il permet à la viole de montrer tous ses effets : tantôt à l’aide de la pédale, il accompagne le commentaire violistique de la ligne de basse, tantôt à l’aide de sa main droite, diminuant mélodiquement au soprano, il accompagne celui de la ligne du ténor, maintenant chantée par la viole, et enfin, grâce à une clarté de la voix de soprano, épurée cette fois-ci, il double le commentaire du soprano toujours sous les doigts de Sylvie Moquet. Une complicité lumineuse pour le public !
La troisième section du concert est anglaise. Le Volontary de Purcell est l’occasion de montrer la beauté des jeux solos de l’orgue. Quant aux divisions sur la basse de la folia de Christopher Simpson elles sont un des moments forts du concert. Faites pour apprendre la diminution aux élèves, elles ont dû certainement avoir le charme plein d’attention sous les doigts infantiles, mais comme lesfuguettes de Bach, elles montrent un autre visage sous la main du Maître, un visage redoutable. On a vu ainsi combien Sylvie Moquet, professeur au conservatoire d’Aix-en-Provence, est un maître. Il y avait aussi les grandes respirations des basses, à l’orgue, aussi souples que les cordes, ainsi que l’improvisation parfois d’un second soliste au clavier, à la main droite, comme s’il s’agissait d’une œuvre en trio, et surtout l’anticipation - encore improvisée - irrésistible du rythme dactylique lors de la dernière mesure d’une variation paisible allant vers une variation jubilatoire, puis les très abruptes virtuosités de la viole. Voilà une œuvre pédagogique transformée en somptuosité par l’art des interprètes.
Après une très belle Fantasia de Scheidemann dans le style de Sweelinck, son maître, rareté copiée de la tablature à Saint-Pétersbourg même par le savant interprète, mise là pour dire que l’on revenait en Allemagne, ce fut la très attendue Sonate en trio pour clavecin et viole de J. S. Bach. Combien ce génie transforme les thèmes populaires en savantes constructions ! et la viole, surtout celle de Sylvie Moquet, est particulièrement apte à restituer la chaleur familiale des pièces de chambre, l’espièglerie des allegri, la tendresse des mouvements lents et des longues suspensions de début de phrases précèdent toujours, chez le Cantor, les turbans de croches en courbes descendantes puis ascendantes … on ne s’étonne pas que l’alliage orgue et viole y soit magnifique, aussi liquide que la musique. La viole se marie toujours parfaitement avec l’orgue et crée auprès du public une émotion douce et nocturne. A 19 h 30, fin du concert, le soir allait tomber sur Mougins. Dans le Sud-est, il fait nuit plus tôt que dans le reste de la France.
Crédit photographique : © DR
samedi 16 avril 2005
Sylvie Moquet & Dimitri Goldobine : alliage de la viole et de l'orgue
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