Monaco, Forum Grimaldi, 30 septembre 2006. Pour les 150 ans de Monaco, un début plus que brillant à la « Marek Janowski » : une 2ème Symphonie de Mahler avec l’orchestre au complet et le Rundfunkchor de Berlin, plusieurs fois habituer du forum Grimaldi.Quand une interprétation est si magistralement pensée, menée, que chaque impulsion artistique est issue de l’architecture d’un cerveau redoutable (redoutable pour les chefs jaloux), la critique ne peut qu’avoir peur : que dire quand tout est parfait, fort et intense ? Son enthousiasme !
Peu de chefs savent mener la narration de Mahler. Beaucoup d’orchestres craquent, couinent sous le poids des cuivres. Ici la lecture est impeccable et c’est sur Mahler que les réflexions surgissent :, encore une fois preuve que Marek Janowski réfléchit et fait réfléchir sur ce qu’il interprète. L’essence première de ce compositeur, que nous montre Janowski, est sa force épique, Malheur parle, tel un aède, il raconte une épopée qui lutte pour acquérir la lumière : certes, tous les commentaires de l’œuvre le disent, mais notre chef le fait ressentir pour chaque auditeur.
Mahler prend du temps pour parler, il est comme Balzac (ou plutôt Zola) : Le trivial, le banal, le folklore trouvent leur place dans un message narratif sublime au-dessus des considérations esthétiques, ils sont même des moyens pour atteindre le sublime, celui qui parle de l’expérience de la vie tout simplement (lire notre présentation de la deuxième Symphonie de Mahler). C’est là un héritage de Beethoven et de Wagner, c’est une leçon que retiendra Chostakovitch, et cela est dur, sans concession, comme la prose d’un Céline. Mahler est à la fois populaire, proche de son auditoire, et pourtant le fond de sa pensée est si abstrait, si complexe que toute première lecture est déroutante, paraît décousue, un labyrinthe. C’est pourquoi le public est généralement très averti voire initié. Bruckner dans son grand hermétisme ne comporte pas cette difficulté, on ne le comprend pas toujours, mais on le ressent. Mahler, plus mondain, nous donne l’impression qu’on le comprenne, mais l’essentiel reste voilé. Janowski, avec sa force prophétique, tient le fil d’Ariane, initie quiconque.
Mahler dans cette symphonie propose des thèmes d’envolées et d’espoirs (qui peut oublier les fanfares de trompettes en coulisse ?), bâtis sur un format post-wagnérien. Ses harmonies mouvantes pleines de retards suaves, -qu’il partage avec Richard Strauss - comme dans le second mouvement paisible ( ces harpes !), annoncent la pâte mélodique qui lui donnera sa renommée mondiale auprès de la masse et dont abusera toute une armée de compositeurs américains après la guerre pour faire couler les larmes. Mais ils ne seront que de pâles larmes : comment imiter le frisson du message de l’Ange (attendu depuis plus d’une heure d’orchestre), marmoréennement chanté par la mezzo-soprano Iris Vermillion : timbre splendide, profond, sonore, technique souveraine et sans détours pour imposer ses volontés expressives. Ce frisson de paix sera amplifié par vingt nouvelles minutes terrifiantes d’orchestre avant que le chœur , la mezzo-soprano et la soprano Ruth Ziesack dans un texte édifiant arrachent la foi et la volonté à la lutte de l’orchestre.
Mahler a le génie de trouver des sons nouveaux, des spatialisations extraordinaires, cinglantes, modernes. Ils sont nombreux les passages de cette symphonie que Chostakovitch va plagier presque notes pour notes, registre pour registre : et pourtant chez Chostakovitch l’effet est plus direct, le discours plus concis, l’élève semble dans sa leçon de dire un message dépasser le maître en matière d’impact sur l’auditoire.
C’est une question de goût mais aussi d’habitude : il faudrait écouter en concert au moins trois fois cette symphonie de presque deux heures, puis y retourner encore et encore, pour comprendre tout ce qu’elle a donné à la musique du XX ème siècle : son message personnel à l’humanité et la force d’un compositeur qui, comme l’on fait Beethoven, Hugo, Dostoïevsky… s’élève au niveau d’un engagement philosophique à travers l’art. Inoubliable concert qui fut marque aussi le lancement de la saison événementiel des 150 ans de l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo.
Monaco. Grimaldi Forum, le 30 septembre 2006. Gustav Mahler (1860-1911) : Symphonie n°2 "Résurrection". Iris Vermillion, soprano. Ruth Ziesak, mezzo. Rundfunkchor Berlin.Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo. Marek Janowski, direction.
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